Gamay : LE cépage du Beaujolais

Un cep de Javernières bien pourvu

A l'échelle internationale, le Gamay noir à jus blanc n'est pas très répandu. On ne le trouve guère hors de France, si ce n'est en Suisse (2 000 ha) et en Europe de l'Est (Balkans). Environ 35 000 ha de Gamay sont plantés dans le monde, dont 30 000 ha en France, avec une légère tendance de fond à la baisse.

Autrefois largement présent dans toute la Bourgogne, il acquiert sa mauvaise réputation lorsqu'il est banni de la Côte d'Or par un édit du duc de Bourgogne Philippe le Hardi. Celui-ci, contrarié par le caractère grossier et rustique des vins de Gamay - produits alors en grande quantité dans les plaines près de Beaune (terres adaptées à une expression qualitative de ce cépage) -, ordonne à ses sujets d'éradiquer ce vil cépage de la Bourgogne. Le « très desloyaut plant nommé Gaamez » est alors éradiqué au profit du pinot noir. Mais si son arrêt de mort est sonné en Bourgogne, le Gamay est toujours cultivé ailleurs ; Au XIX siècle, il est commun en Auvergne, Loire, Centre et même dans le Nord-Est grâce à ses qualités agronomiques qui permettent de l'exploiter à la latitude limite de culture de la vigne. Avant l'invasion du phylloxéra, il est même l'un des cépages les plus répandus puisqu'il occupe près de 10% de la surface viticole française (environ 150 000 ha). Actuellement, il se classe à la 7ème place des cépages rouges.

Outre les conditions de culture et les rendements pléthoriques qui desservaient la qualité à cette époque, il est également possible que le jugement de Philippe le Hardi ait été faussé par l'existence de nombreuses variétés dont certaines sont bien médiocres. L'ampélographe Viala ou encore l'historien Roger Dion ont rapporté que sous le nom de Gamay étaient plantés de nombreux cousins qui n'ont rien à voir, au niveau qualité, avec le cépage Gamay Noir à jus blanc. Les confusions ont dû souvent existé. Dans son Guide des cépages, Oz Clarke indique d'ailleurs que récemment aux Etats-Unis (jusqu'en 2007), un cépage indûment nommé Gamay beaujolais était cultivé en Californie alors qu'il ne s'agissait en fait que d'un clone médiocre de pinot noir.

 

Répartition actuelle en France :

Si le Gamay est le cépage du Beaujolais, il est également cultivé de manière importante tout au long de la Loire : Côtes roannaises et Côtes du Forez, Châteaumeillant, Valençay, Coteaux du Giennois, Coteaux du Loir, Touraine, Coteaux d'Ancenis, Anjou (rosé). Il est également assez répandu en Poitou-Charentes : Fief-Vendéens, Haut-Poitou, Vins du Thouarsais.

Sa présence ailleurs est plus anecdotique ; nous citerons le Sud-Ouest (cépage auxiliaire des Marcillac, Gaillac, Côtes du Marmandais, Lavilledieu), l'Auvergne (Côtes d'Auvergne), la Moselle (Gris de Toul), la Savoie et le Bugey.

On peut le trouver également dans de nombreuses zones de vin de table sans mention d'origine ou en vin de cépage (Ardèche, Arc méditerranéen),

La répartition actuelle du Gamay noir à jus blanc en France est aujourd'hui la suivante :

  • Beaujolais : 22 000 ha
  • Bourgogne : 2 600 ha
  • Centre : 2 520 ha
  • Val de Loire (Anjou) : 1 970 ha

 

Gamay et Beaujolais :

Gamay et Beaujolais sont pieds et poings liés si l'on peut dire. Pourtant, il n'y a aucune certitude sur le fait que la région beaujolaise soit la patrie d'origine de ce cépage. On pense aujourd'hui que ses « parents » se sont plutôt rencontrés en Bourgogne après que le Gouais B ait été introduit en Europe centrale par les Huns au 4éme siècle. Mais la question de son origine exacte reste sans réponse.

S'il s'adapte à tous les sols et peut produire en abondance, il a trouvé en tout cas sa Terre promise sur les monts du Beaujolais, surtout au nord sur les terrains d'origine granitique. On y a développé des vinifications particulièrement adaptées dont la vinification dite beaujolaise, semi-carbonique en grappes entières, qui exprime particulièrement bien les arômes et saveurs du gamay. Il donne ainsi des vins généreux, fins et légers qui ne manquent ni de sève ni de bouquet (framboise, épices).

Le Gamay est le seul cépage rouge autorisé pour les AOC du Beaujolais (des cépages accessoires sont autorisés dans une limite de 15% mais ce sont des blancs).

La surface exploitée est relativement stable depuis 200 ans puisqu'elle était selon l'ampélographe Victor Vermorel de 17 700 ha en 1824 et de 25 500 ha en 1881 (Les Vins du Beaujolais, du Mâconnais et du Chalonnais, 1893). Notons toutefois que des essais ont été effectués récemment avec de nouveaux cépages, au premier rang desquels figure le Gamaret, né d'un croisement entre Gamay et Reichensteiner, et qui est désormais au catalogue français des cépages autorisés depuis 2010. Celui-ci, plus développé en Suisse, présente des qualités (vins structurés et riches, résistance à la pourriture) qui pourraient permettre son extension dans le vignoble beaujolais à l'avenir.

 

Ampélographie :

Il descend de la lignée des « Noiriens », un groupe de cépages dominant les vignobles septentrionaux du nord-est de la France et englobant les Pinots, le Chardonnay et les Melons. On sait d'ailleurs aujourd'hui qu'il s'agit d'un croisement entre le Pinot noir N et le Gouais B (cépage blanc abandonné).

Le Gamay noir à jus blanc est connu sous différents noms : Gamay beaujolais, Gamay rond, Gamay d'Auvergne, bourguignon, grosse dôle, Plant Robert (Suisse), Gamay de Saint-Péray, Plant de Limagne, Gamay Picard, Gamay de Perrache, de Saint-Galmier, de Toul, de Loire, Gamay Nicolas... Ils rappellent soit l'origine, soit le nom du sélectionneur.  

Il y a également de nombreuses variétés proches génétiquement. Le tableau ci-dessous reprend toutes les variétés répertoriées dans le monde accompagnées de leurs synonymes :

Gamay blanc

Chardonnay, Melon

Gamay malain

Canari

Gamay d'Orléans

Gascon

Gamay vert ou rouge

Troyen

Gamay de Bouze

Rouge de Bouze, rouge de Couchey, petit mourot

Gamay de Chaudenay

Plant rouge de Chaudenay, teinturier de Chaudenay, plant gris, gros mourot

Gamay Fréaux

Friaux, teinturier Fréaux, violet de Saint Denis (Côte chalonnaise), teinturier supérieur de Couchey ou teinturier Le Roy

 

Agronomie (sélection clonale et porte-greffes) :

Le Gamay existe sous de nombreux phénotypes. Faisant l'objet d'une sélection clonale qualitative depuis 1960 (diminution des rendements, amélioration de la richesse en sucres), cette sélection porte actuellement ses fruits par la diffusion auprès des viticulteurs de 37 clones agréés par l'INRA et participant au renouvellement et à l'extension du vignoble. Les plus qualitatifs sont les suivants (plus le numéro est élevé, plus le clone est récent) :

  • 358 : Bon potentiel, intermédiaire entre vins fruités et vins structurés. Facile à maîtriser.
  • 509 : Clone précoce, peu productif, à faible acidité (éviter les terroirs précoces). Bien adapté à la production de vins de garde aromatiques et charpentés.
  • 565 : Clone précoce à feuilles découpées. Il est apprécié pour son faible rendement et son aptitude à l'élaboration de vins de garde équilibrés, aromatiques, charpentés et colorés.
  • 656 : Port retombant, niveau de production à maîtriser (taille courte obligatoire) pour obtenir une bonne expression qualitative. Clone adapté à l'élaboration de vins primeurs et de vins de garde. Couleur soutenue et bonne complexité aromatique.
  • 787 : Grappes compactes et millerandées. Clone adapté à l'élaboration de vins de garde fins et colorés. Bon, compromis qualité/quantité.
  • 1060 : Rendement intermédiaire. Clone adapté à l'élaboration de vins de garde.
  • 1109 : Port dressé, clone peu productif. Clone adapté à l'élaboration de vins de garde.
  • 1169 : Clone petit producteur, petites grappes lâches à baies très ovoïdes entraînant une bonne tolérance à la pourriture, plutôt précoce. Vins de qualité gustative supérieure avec un bon équilibre entre arômes et structure.

 

La sélection du porte-greffe revêt un caractère aussi important que celle du clone. Depuis l'invasion du phylloxera, le gamay comme les autres cépages est greffé sur des vignes résistantes à cet insecte (espèces ou hybrides d'espèces américaines). Les porte-greffes les plus utilisés sur les terrains granitiques du Beaujolais sont :

  • Riparia Gloire de Montpellier : il confère une vigueur faible dans les sols pauvres et suffisante dans les sols argileux, favorise la fructification et avance la maturité.
  • 101-14 MG (Riparia x Rupestris) : Vigueur conférée moyenne, cycle végétatif court. Se plaît dans les terres argileuses fraîches, mêmes humides et compactes. Résiste mal à la sécheresse,
  • Gravesac (hybride complexe 161-49 x 3309 C) : Porte-greffe vigoureux conseillé pour les sols acides, sableux, sablo-graveleux, humides au printemps.
  • 3309 C : (Riparia x Rupestris) : Vigueur et rendements conférés moyens. Craint les sols compacts et humides au printemps et à l'automne.
  • Vialla (Riparia x Labrusca) : Vigueur conférée assez forte mais fertilité induite limitée. Avance le cycle végétatif et réduit l'acidité des baies. Porte-greffe ancestral du Beaujolais, il est encore le plus répandu (7 000 ha) car l'âge moyen du vignoble est important mais il n'est guère utilisé dorénavant pour les parcelles replantées (résistance moyenne au phylloxéra, très sensible à la chlorose)

 

Physionomie :

Le Gamay présente un bourgeonnement duveteux, blanc nuancé de vert clair et à pointe rosée. Les jeunes feuilles sont d'un vert jaune brillant. Les feuilles adultes sont rondes, de taille moyenne, minces, lisses, entières ou comprenant de 3 à 5 lobes à peine visibles, avec des dents anguleuses courtes et un sinus pétiolaire ouvert en V. Selon les clones, le limbe est nu ou très faiblement velu.

Les rameaux herbacés sont vert clair, brillants, les entre-nœuds sont rouge, les vrilles petites et fines. A l'automne, le feuillage rougit partiellement. Les rameaux exposés au soleil prennent une couleur cuivrée.

 
Vignes de Chiroubles (5)

Les grappes petites à moyennes (70 à 140 g), peuvent être de formes très différentes, presque toujours très compactes avec un pédoncule très court ; la rafle est verte. Elle porte des baies ovoïdes de taille moyenne, noires à reflets violets, avec une peau très fine abondamment pruinée. Leur pulpe est incolore et elles donnent un jus abondant à la saveur relativement banale.

 

Pratiques culturales :

Contrairement à d'autres cépages, le gamay est très influencé par son terroir, son climat et les conditions de conduite et peut donc énormément varier d'une région à l'autre, au niveau de sa végétation.

Assez peu vigoureux, mais très fertile (2 à 2,5 grappes par œil), il est particulièrement difficile à conduire. Il exige de ce fait une taille courte. Cépage débourrant très tôt et cultivé en climat parfois rude, il compense le risque de gel par une bonne fertilité des contre-bourgeons et la production de nombreux grapillons (ce qui explique aussi que ses rendements puissent être parfois exagérés). Son cycle végétatif est court (7 jours de moins que le merlot), les vendanges se déroulant généralement entre fin Août et fin Septembre, selon les millésimes et les terroirs.

Cépage solide et résistant, peu exigeant, le Gamay reste cependant sensible à l'oïdium, à la pourriture grise et à l'excoriose. Il est très sujet au millerandage si la pluie et/ou le froid arrivent au moment de la floraison. Il n'aime pas les climats chauds, qui le font mûrir trop vite et grillent les grappes si le soleil est trop fort.

Si l'on veut juguler ses rendements, il faut lui apporter des soins très minutieux :

  • une densité de plantation serrée : de 7 000 à 12 000 pieds par hectare.
  • une taille courte laissant 3 à 5 cornes sur chaque cep et un maximum de 10 yeux (bourgeons). La taille ancestrale du Beaujolais est la taille en gobelet mais la taille en cordon de Royat s'est développé avec la mécanisation.
  • Un éclaircissage soigné,
  • des « vendanges en vert » peuvent également aider si la taille et l'ébourgeonnage n'ont pas suffi. Pratiquées en juillet, elles consistent à diminuer le nombre de grappes par cep pour maîtriser au mieux les rendements.

 

Caractère des vins :

Nous distinguerons les vins d'avant Noël (primeurs) et les vins d'après Pâques.

Les premiers peuvent être agréables quand ils sont bons : ils sont peu colorés mais possèdent de belles robes rubis, brillantes et limpides ; avec un nez caractéristique de petits fruits rouges (fraise, framboise, cerise), souvent complété de note de « bonbon anglais » et de banane ; fruités, vifs et désaltérants en bouche, les Beaujolais et les Touraine primeur ou nouveaux sont des vins de soif que l'on peut prendre plaisir à redécouvrir une fois l'an.

Les seconds, lorsqu'ils sont originaires des grands terroirs granitiques des crus du Beaujolais peuvent alors être de grands vins soyeux, complexes et distingués, avec toujours cette grande « buvabilité » et digestibilité ; délicieux à maturité, ils peuvent (et doivent parfois) attendre 2 à 10 ans en bouteille selon les millésimes.

 

Accords à table :

Vins pauvres en tannins (en général) mais délicats et fruités, les vins de Gamay accompagnent parfaitement les plats simples tels que charcuteries et cuisine traditionnelle lyonnaise : saucisson brioché, jambon persillé, tête de veau. Les plats de bistrot lui conviennent parfaitement : petit salé aux lentilles, potée auvergnate, chou farci, andouillette. Pour ceux qui ne conçoivent le fromage qu'avec du vin rouge, il permettent, contrairement à d'autres, trop tanniques, de bonnes associations comme avec le Saint-Marcellin par exemple.

Les meilleurs crus du beaujolais accompagneront les grands plats du dimanche de la gastronomie française que sont le pot au feu, la blanquette de veau ou la poule au pot. La délicatesse d'une belle volaille braisée (de Bresse bien sûr) fera également un magnifique accord.