Daniel Bouland

Daniel Bouland

 

Travailleur invétéré, humble, discret, souvent anxieux, Daniel Bouland ne s'exprime pas facilement de prime abord (tout comme ses vins) mais lorsqu'il vous reçoit dans sa cave de Corcelette, il s'ouvre peu à peu et devient vite si attachant qu'on a du bien du mal à le quitter. Ancré dans l'héritage d'une viticulture conventionnelle dont il ne pourra pas se défaire, il est aussi proche de ses vignes qu'un vigneron peut l'être, ne comptant pas ses heures. Il doit notamment travailler 3 ha sans aucun tracteur en raison des pentes et/ou de la densité des très vieux gobelets qui composent un patrimoine végétal exceptionnel et des terroirs qui ne le sont pas moins.

 

  • Le domaine :

Dans le petit hameau de Corcelette entre Villié-Morgon et Chiroubles, vous ne pourrez pas manquer le panneau du domaine mais vous aurez peu de chance de trouver Daniel Bouland chez lui tant sa place est dans les vignes (ou parfois en Savoie qu'il affectionne particulièrement l'hiver). C'est là que le domaine familial a toujours été.

 

La propriété actuelle de Daniel Bouland provient de ces aïeux donc, après partage avec son frère Raymond qui est également vigneron sur la commune de Villié-Morgon (et avec lequel il travaille régulièrement, notamment pour les vendanges). Il exploite actuellement environ 8 ha de vignes après avoir repris en 2014 plusieurs parcelles sur Corcelette qui représentait déjà  le cœur du domaine. Il possède également des vignes sur Douby à Morgon, sur le Mont Brouilly et à Chiroubles juste au-dessus de Corcelette.

Un peu à l'étroit dans ses bâtiments de Corcelette, Daniel a un projet en cours de construction d'un nouveau bâtiment pour avoir plus de place et en particulier pour stocker les bouteilles.

Fin vinificateur, il fait des grands vins avec peu de choses et à des prix d'une douceur angélique. Et on se dit alors qu'avec un peu plus de moyens (et une revalorisation des prix de vente qui va avec), on aurait sans doute là un domaine dans le top 3 de tout le Beaujolais ! Mais ce n'est pas son trip à Daniel, lui dont l'âme paysanne fait toujours craindre des lendemains qui déchantent et qui a peur de perdre ses clients historiques en augmentant ses prix. Et pourtant, c'est toujours le même refrain : il n'a jamais rien à vendre...

 

  • Ses terroirs :

Commençons par Morgon et Corcelette en particulier bien sûr, qui représente 75 % de la production. Daniel exploite désormais près de 6 ha sur ce beau climat de Morgon. Sur des sols sableux avec une quantité et une taille de cailloux très variable (voir photos ci-après) et une bonne proportion d'éléments fins, un patrimoine exceptionnel de vieilles vignes en gobelet compose ses parcelles. Les plus jeunes vignes sont les mieux structurées, ce sont les seules que Daniel ait plantées et c'était entre 1985 et 1987. Sinon, ce sont de très vieux ceps (la plus vieille vigne date de 1926) avec des formes torturées qui rendent impossible le passage d'un tracteur. 

 

 
Les terroirs de Corcelette de Daniel Bouland

Les terroirs de Corcelette exploités par Daniel Bouland

 

Les expositions varient selon les parcelles, mais les pentes étant douces, les vignes sont très ensoleillées toute la journée. Le secteur étant globalement chaud et venté, c'est un terroir relativement précoce qui a tendance à donner des raisins concentrés.

A Chiroubles, Daniel possède 70 ares en pente très forte (40%). Comme partout sur cette appellation, il s'agit de sols très sableux, peu épais, reposant sur le substratum rocheux. Là aussi les vignes sont vieilles (50 ans et plus) ; elles sont exposées au Nord-Est. Ce terroir tardif donne des vins plus légers en général bien que Daniel en tire sur certains millésimes un vin de très bonne tenue dans le temps. Cette parcelle est bien sûr travaillée à 100% à la main de l'homme.

 

 
Vignes de Chiroubles (2)

Les pentes sont raides à Chiroubles

 

Sur le Mont Brouilly (Côte de Brouilly «Cuvée Mélanie», Mélanie étant le prénom de sa fille), Daniel exploite une petite parcelle de 50 ares idéalement située sur une des parties les plus qualitatives de l'appellation. Avec une exposition plein Sud, les vignes là encore très âgées (70 à 80 ans) et plantées à 12 000 pieds/ha voient le soleil quasiment toute la journée. Sur des sols caillouteux très pauvres composés de la fameuse roche bleue (diorite plus ou moins métamorphisée en corne verte), la vigueur est faible (peu de bois) et la charge en raisin est toujours inférieure aux autres parcelles du domaine. Comme sur Chiroubles, c'est une parcelle travaillée manuellement à 100% en raison de la pente. Des cuvettes doivent même être aménagées à chaque pied pour pouvoir effectuer la taille correctement avec un autre intérêt, celui de ralentir la descente de l'eau pendant les orages.

 

 
Vignes de la Côte de Brouilly (8)

Terre de roches bleues et cuvettes creusées au pied des vignes

 

  • Sa conduite des vignes :

Daniel Bouland doit faire avec ses terrains en pente et son patrimoine de vieux gobelets. Il travaille 3 ha complètement à la main (pas un seul passage de tracteur) et le reste en partie, pour attacher surtout (toutes les vignes sont liées à l'osier) et pour les traitements quand c'est trop humide pour rentrer en tracteur. Autant dire que c'est un travail de titan, alors ne lui parlez pas de travail des sols ou de laisser pousser l'herbe, c'est mission impossible dans son cas.

 

 
Un beau gobelet de Chiroubles

Un beau gobelet de Chiroubles

 

Daniel parcourt ses vignes de long en large durant l'été, à l'affût des moindres changements dans ces vignes. Et comme les 3 derniers millésimes (2012 / 2013 / 2014) n'ont pas été simples, les journées de 12 heures minimum se sont enchaînées à un rythme que beaucoup ne supporteraient pas.

Les rendements sont maîtrisés naturellement, les vendanges en vert n'étant pas nécessaires compte-tenu de l'âge des vignes. Daniel ne cherche pas spécialement à les diminuer (ce qui se comprend compte-tenu du prix de vente) et vise 50 hl/ha ; ce qui a été le cas en 2013 après une année 2012 maudite pour tout le Beaujolais (32hl/ha chez lui). Et quand on goûte les 2013 de Daniel, ils sont bien plus concentrés que d'autres qui préfèrent s'en tenir à 40 hl/ha, comme quoi le rendement ne fait pas tout...

 

  • Son travail à la cave :

Il est à la fois simple et particulièrement attentionné. Daniel Bouland pratique des vinifications en vendange entière uniquement. Les macérations durent 10 à 12 jours avec chaque jour 2 remontages (matin et soir) et un pigeage tant que le chapeau le permet.

Les vins sont ensuite élevés en cuves inox et en foudres pendant 6 à 9 mois (les premières mises sont faites fin Avril et les dernières en Juillet).

Daniel utilise des doses de SO2 faibles, n'en mettant généralement que 2 g/hl dans ses vins après fermentation malolactique et en ajustant le SO2 libre entre 15 et 20 mg/l à la mise en bouteille. Les vins ne sont pas filtrés et ils ne sont désormais plus dégazés à l'azote (il trouve que ça sèche les vins) mais suffisamment aérés avant la mise.

Comme à la vigne l'été, Daniel passe beaucoup de temps en cave à tous les stades de vinification, goûte beaucoup et est très attentif à toute évolution (et très inquiet), n'hésitant pas à multiplier les analyses pour confirmer ses sensations.

 

  • Le millésime 2013 :

Les rendements ont été bons chez lui (50 hl/ha). Environ 37 000 bouteilles de vin ont été produites. Les vendanges ont été effectuées pendant la première quinzaine d'Octobre. Les vinifications ont été difficiles avec des jus épais ; les vins ont été très longs à s'éclaircir. Mais au final, on retrouve dans le verre des vins fruités, assez classiques, avec beaucoup plus de matière qu'en 2012.

Chiroubles 2013 : La cuvée sur le fruit du domaine. Même si c'est léger et facile, on attendra un an de bouteille pour en prendre toute la mesure.

Côte-de-Brouilly Cuvée Mélanie 2013 : Expression beaucoup plus minérale et terrienne. Serré, droit, équilibré, longiligne, très joli vin.

Morgon Corcelette 2013 : C'est Morgon et ça se sent, il y a du vin. Très joli nez bien ouvert avec des fruits rouges et noirs mêlés. C'est tonique, structuré, les tannins ne sont pas durs mais bien présents. Ca goûte bien maintenant et ça promet du plaisir dans quelques années

Morgon Vieilles Vignes 2013 : Même trame que le Corcelette avec beaucoup de mâche, très serré, mais ça goûte bien. C'est très bon mais la fin de bouche est trop tannique pour l'instant. Lui donner du temps, comme toujours.

 

  • Le millésime 2014 (Mai 2015, vins en bouteille) :

Plus fruités que 2013, avec des tanins plus soyeux et un ensemble plus harmonieux, c'est parti pour être un millésime de fort belle facture, sans doute juste en-dessous 2011 car il y a quand même un peu moins de fonds. Les vins sont étonnamment ouverts 15 jours après la mise, ce qui habituellement les durcit et les rend difficile à apprécier.

Le Chiroubles 2014 est très fruitée, les tanins sont déjà presque imperceptibles, ça glisse tout seul et il est bien difficile de recracher. C'est bien un Chiroubles ! A noter que cette année l'étiquette indique le lieu-dit (Chatenay).

Le Côte-de-Brouilly 2014 affirme lui aussi son identité avec toujours cette minéralité que transmet la pierre bleue de la côte même si cette année le fruit est plus présent et le soyeux domine, rendant le vin plus accessible qu'à l'accoutumée. Les tanins tout de même un peu fermes en finale nous ramènent à la raison et nous invite à le laisser se reposer un peu en cave.

Sur Morgon, Corcelette est déclinée sous 2 cuvées cette année, bien que très peu en France verront la cuvée Schiste provenant de nouvelles parcelles récupérées l'an dernier par Daniel (exploitées auparavant par son frère). Le Morgon Corcelette 2014 (le même que d'habitude sans mention particulière) est celui qui se goûte le moins bien à ce stade. Il ne s'est sans doute pas remis de la mise, les tanins ressortent davantage et le vin est assez dur même si on sent bien la maturité du fruit et la belle construction du vin.

Le Morgon Vieilles Vignes 2014  est bizarrement bien plus ouvert et harmonieux que le Corcelette, il est plein, fruité à souhait, soyeux et les tanins, bien mûrs, tapissent bien la bouche, sans aucun assèchement. Bref, du bel ouvrage !

 

  • Le millésime 2015 (Janvier 2016, vins en élevage) :

Vendanges débutées le 29/08 sous la chaleur et par le vent du Sud qui a réduit notablement des rendements déjà limités par la sécheresse estivale. La moyenne de la cave se situe à 35 hl/ha (contre 50 hl/ha environ pour une année pleine comme 2013 ou 2014). Les degrés alcooliques se situent autour de 14° et les acidités sont bonnes, bien meilleurs qu'on pouvait le craindre (au-dessus de 4 g d'acidité totale).

Les vinifications ont été délicates compte-tenu de la richesse des moûts avec des fins de fermentation longues sur certains lots (une cuve s'est d'ailleurs arrêtée avec 2 g/l de sucres résiduels) et des fermentations malolactiques qui ont eu du mal à démarrer. Mais Daniel qui est très attentif et expérimenté, a fait faire beaucoup d'analyses pour suivre au plus près ses cuves et intervenir lorsque c'était nécessaire.

Chiroubles Chatenay 2015 : Beaucoup de couleur (ce sera une constante du millésime), nez bien ouvert sur les fruits rouges frais et de légères notes de cassis frais. Entrée en bouche gourmande, suave et très fruitée. Le vin se développe avec un milieu de bouche de demi-corps et des tanins souples qui le rendent déjà très facile ; le fruit se prolonge, bien porté par une trame acide juste, et la fin de bouche est très croquante et salivante. Moins gras mais plus énergique que le 2009 (qui était plus mûr), il est une petite merveille d'équilibre et de friandise.

Côte-de-Brouilly Cuvée Mélanie 2015 : On perçoit dès le premier nez qu'il sera moins aguicheur. Plus strict avec des notes de mine de crayon, de menthol et un peu de mûre, il faut aller le chercher. En bouche, les tanins sont bien plus présents et maintiennent un ensemble encore strict même si le toucher de bouche est superbe. Il y a beaucoup de fraîcheur et d'intensité, mais il est sur la réserve à ce stade et n'offre pas la gourmandise du Chiroubles. Tout est là pour faire un excellent vin... de garde.

Morgon Corcelette 2015  (synthèse de différents lots) : Nez fruité (fruits noirs) et réglissé avec là encore du menthol, il est frais et distingué. En bouche, le vin se présente tout de suite large et soyeux, débordant de vitalité. Les tanins sont présents mais remarquablement enrobés, ils dynamisent un ensemble distingué et convaincant tant par la qualité de fruit que par l'équilibre qui s'en dégage. La finale est légèrement astringente avec un support végétal qui se montre bien présent et une fine amertume. Très réussi.

Morgon Vieilles Vignes 2015 (environ 5000 bouteilles cette année) : C'est cette cuvée qui a 2 g/l de sucres résiduels. Nez logiquement similaire au Corcelette quoique plus minéral avec beaucoup d'intensité. Attaque en bouche précise, puissante, dynamique qui met tous les sens en éveil. La densité est impressionnante, mais avec beaucoup de classe. On ne ressent pas les sucres résiduels en tant que tel mais ils apportent un léger supplément de gras qui enrobe des tanins denses et élégants. A ce stade, la texture prend le pas sur le goût et l'ensemble est serré. La finale est une nouvelle fois marquée par le support végétal et une légère amertume, elle est fraîche et longue. Un vin à l'avenir radieux mais il faudra être patient. Il me rappelle le 2011 en plus concentré.

Daniel Bouland a réussi un grand millésime 2015, les vins sont pas tombés dans la surmaturité, ils sont particulièrement bien construits avec des bouches denses, rectilignes et dynamiques. Il y a du fruit, plus ou moins expressif à ce stade selon les terroirs, mais il est bien là, il sera enfermé dans la bouteille et ne demandera qu'à s'épanouir le moment venu. En fait, je n'ai rien à reprocher à ces vins qui sont, me semble-t-il, d'une grande justesse et d'un formidable équilibre pour ce millésime solaire.

 

Dossier réalisé à partir des 3 visites au domaine effectuées les 25 Janvier, 16 Mai (prises de vues dans les vignes) et 3 Septembre 2014 + dégustations au fil du temps.