Paul-Henri et Charles Thillardon

Paul-Henri dans Les Carrières

 

Paul-Henri Thillardon n'est pas un vigneron comme les autres. D'abord parce qu'il s'installe à l'âge de 22 ans en partant de rien... Ensuite par son tempérament surprenant et complexe. Lorsqu'on rencontre Paul-Henri, la première impression est celle d'un gamin aux yeux ébahis dans les tribunes d'un cirque... Sauf que ce n'est plus un gamin et que le cirque, c'est celui de Chénas, ouvert sur la plaine de la Saône ! Et s'il a conservé une curiosité sans limite, une audace bluffante et une joie de vivre communicative, qu'on ne s'y trompe pas, ce garçon est aussi et surtout un paysan humble, travailleur, pragmatique et rigoureux, habité par l'amour et le respect de la terre, capable - en partant de rien - de devenir en seulement 5 ans un leader de cette appellation en sommeil mais au potentiel étonnant. 

 

  • La naissance du domaine :

Originaire de Frontenas dans le Sud-Beaujolais (pays des Pierres Dorées), où son père est vigneron, Paul-Henri Thillardon fait un bac pro Viti-œno puis après quelques années de pérégrinations et d'hésitation (travail avec son père et études de commerce notamment), il s'installe à Chénas en 2008 à seulement 22 ans. Pourquoi Chénas ? Simplement parce qu'il est tombé amoureux de ses vins, un véritable coup de foudre même !

Les débuts sont bien sûr difficiles. Sur une appellation peu reconnue où la majorité des vignerons vendent historiquement leur production au négoce bourguignon, voila ce jeune qui débarque et, dans une démarche bio avec des cuvées parcellaires, prend tout le monde à contre-pied.

Sa motivation est sans faille, rien ne l'arrête, que ce soit ses difficultés sur les marchés où il vend péniblement ses premières bouteilles ou bien la grêle qui ne l'a épargné qu'une année sur 6 ! Son frère Charles le rejoint et petit à petit, il agrandit son exploitation, toujours sur Chénas, où il arrive enfin à acheter en 2012 (les vignes étaient toutes en métayage auparavant). Il exploite également 40 ares sur Chiroubles depuis 2010, et 2 ha supplémentaires en Moulin-à-Vent, sur les Deschanes (depuis 2012), Les Michelons et au lieu-dit Pinchon (depuis 2014). Il y a également une petite production de Beaujolais dans les Pierres Dorées. Le domaine compte aujourd'hui 11 ha dont 7,5 sur Chénas.

Pour travailler en bio 11 ha à deux, il ne faut pas chômer !

 

 
Chassignol vu de Juliénas

Le domaine sis sur la côte de Chassignol

 

Sa chance vient, il le concède volontiers, d'une reconnaissance assez rapide de son travail et de ses vins par la presse et toute la profession. Ses cuvées parcellaires, pourtant chères pour l'appellation, s'écoulent désormais sans difficulté et le domaine manque rapidement de vins. D'ailleurs, s'ils reçoivent toujours les clients particuliers avec plaisir, Paul-Henri et Charles ne vont plus les chercher dans les salons et marchés aux quatre coins de la France ; ils exportent une bonne partie de leurs vins, distribue principalement via les cavistes et les restaurateurs en France et vendent maintenant moins de 10% directement aux particuliers. Car ils préfèrent être dans les vignes...

Aujourd'hui, biens dans leur peau, les 2 frères essayent plus que jamais de mettre en avant les grands terroirs de Chénas, avec leur vision du vin et sans aucun esprit de compétition. Aimant tous les types de vin (et aussi la bonne chair), animés par la soif de découverte et le plaisir du partage, ils se retrouvent régulièrement autour d'une table avec d'autres jeunes vignerons du coin, dans un esprit bien beaujolais, échangeant impressions et expériences avec respect mutuel et passion.

A noter que Charles rejoint officiellement son frère à la tête du domaine en 2014 et que le domaine Thillardon n'est donc plus l'exclusivité de l'aîné et ne portera donc son prénom.

 

  • Les terroirs :

L'exploitation est située sur la commune de Chénas, en limite de l'AOC Moulin-à-Vent (qui, rappelons-le, est aussi pour moitié sur cette commune).

Le domaine possède à Chénas des vignes sur 4 climats différents : Les Blémonts, Les Boccards, Les Carrières et Chassignol).

Les Carrières (1,9 ha) : Sa toute première vigne. Située sur une ancienne carrière de sable (exploitée pour les chemins de fer de la région) près de Saint-Amour. C'est un terroir particulier sur une ancienne terrasse alluvionnaire ; on y trouve notamment de nombreux galets roulés. Les vieilles vignes y donnent des vins minéraux qui peuvent être légèrement durs dans leur jeunesse. Le domaine y obtient généralement un peu plus de 40 hl/ha.

 

 
Les Carières le 27 Août 2014 (4)

Des raisins presque mûrs dans Les Carrières (fin Août 2014)

 

Les Boccards (2 ha) : Vignes qu'il exploite depuis 2009 et qui sont toujours en métayage. Terroir de granite rose décomposé typique des crus. Le bas de la vigne est en limite de l'AOC Moulin-à-Vent. Les vignes ont la particularité d'être cultivées en bio depuis 20 ans. C'est un terroir très précoce, exposée au vent, qu'il faut prendre garde à ne pas récolter trop tard si on veut éviter de cueillir des raisins flétris (surmaturité). Paul-Henri la taille d'ailleurs en dernier pour retarder au maximum le cycle végétatif. Le rendement moyen obtenu y est de 30 hl/ha.

 

 
Les Boccards

Sols travaillés dans Les Boccards en Mai

 

Les Blémonts (1,5 ha) est un terroir assez typique de Moulin-à-Vent... '-), avec un sol assez argileux sur le granite décomposé. Là aussi, le rendement moyen y est de 40 hl/ha.

Enfin (pour Chénas), il y a les terres jouxtant le chai qui sont sur le lieu-dit Chassignol (même lieu-dit que le Moulin-à-Vent mais sur l'appellation Chénas). A deux pas de Moulin-à-Vent donc, les vignes (2 ha), sur des pentes fortes, sont exposées principalement au Nord-Est. La roche y est particulière, elle est dite lardée (c'est en fait un granite rose métamorphisée avec des filons de quartzite) ; sa décomposition donne des sols sablo-argileux (70% de sable) avec des pierres lardées de blanc facilement reconnaissables. La pente se fait de plus en plus forte vers le sommet et devient impressionnante, ce qui rend impossible toute mécanisation.

 

 
Chassignol le 27 Août 2014 (4)

Chassignol (Vignes du domaine au premier plan)

 

Les vieilles vignes de 90 ans rachetées ici en 2012, étaient alors en friches. Mal entretenues depuis de longues années, certains ceps en étaient arrivés à se croiser. Il a donc fallu tout restructurer, effectuer une taille sévère sur les 2 premiers hivers là où c'était encore récupérable, et arracher et replanter dans les zones les plus abimées.

Il y a également :

  • une petite parcelle de 40 ares replantée par Paul-Henri en 2010 sur Chiroubles (lieu-dit Le Bourg),
  • une parcelle sur Moulin-à-Vent au lieu-dit Les Deschanes (haut de coteau granitique). 2012 est le premier et dernier millésime produit car les vignes de 110 ans sont arrachées et le terrain est laissé en repos avant d'être replanté,
  • Une parcelle de 0,5 ha sur Moulin-à-Vent sur le climat Les Michelons (jouxtant celle de Fabien Duperray), exploitée depuis cette année (2014)
  • Une autre parcelle de 0,5 ha sur Moulin-à-Vent au lieu-dit Pinchon.

 

  • Le travail à la vigne :

L'ensemble du domaine est cultivée en bio (certifié ou en conversion pour les plus récentes) Une petite partie (Chassignol) est travaillée au cheval et en biodynamie.

Le travail est appliqué, il comprend notamment des apports de matière organique, des labours et le maintien d'un enherbement naturel, régulé par griffage.

 

  • Le travail en cave :

C'est à la cave que Paul-Henri et Charles assouvissent le plus leur curiosité. Ouvert à tout (sauf à la thermovinification !), ils ont essayé presque toutes les vinifications. Mais ils ne font pas n'importe quoi et s'ils peuvent donner l'impression de partir dans tous les sens, il y a un vrai travail sur chacune de leur cuvée. «On n'a qu'une chance par an donc on fait des tests et on prend des notes !».

Pour leurs cuvées de terroir classiques, ils ont choisi de retenir aujourd'hui les grands principes généraux suivants : Egrappage (avec tout de même 30% de vendange entière en fond de cuve), encuvage à froid, départ en levures indigènes (avant ils levuraient), environ 3 semaines de macération avec 2 ou 3 pigeages (pas de remontage ni délestage). Elevage en cuves béton et sous bois pour partie (pas de bois neuf, enfin presque pas '-), quelqu'un leur en a offert un et ils ne l'ont pas laissé vide...). Pas ou très peu de filtration (il y en avait 50% systématiquement jusqu'en 2010 mais ils ont arrêté) et des vinifications sans soufre et sans chaptalisation.

Des micro-cuvées sont également produites tous les ans, elles ne sont pas toutes commercialisées. Il y a notamment chaque année au moins une barrique en macération carbonique, parce qu'ils aiment aussi ce type de vins.

En 2013, après les 2 tailles sévères effectuées sur Chassignol, il y avait très peu de raisins. Alors plutôt que de faire une cuvée Chassignol, ils ont décidé de faire une cuvée en macération carbonique. Ce qui est intéressant, c'est alors de goûter le Chassignol 2012 fait comme expliqué ci-avant à côté du même mais «déclassé» en 2013 et en version carbo. C'est tellement différent que l'on comprend alors l'importance de la vinification sur l'expression du terroir et sur les arômes du vin.

D'autres cuvées de garage voient le jour chaque année selon leurs envies, elles n'ont pas pour but de changer de méthode mais plutôt de comprendre les effets de tel ou tel choix, de vérifier si telle ou telle règle par ailleurs établie s'applique dans leur cas et d'affiner les directions à prendre pour exprimer au mieux le potentiel de leurs terroirs.

 

  • Caractéristiques des vins :

On parle ici des Chénas vinifiés de manière traditionnelle (climats revendiqués). Ils ont tous un côté austère en jeunesse, paraissent un peu sévère ; l'égrappage n'est d'ailleurs pas ressentie, peut-être parce qu'il favorise ici une acidité plus haute qui durcit les tannins. Ensuite, chaque terroir exprime sa typicité : Les Carrières est peut-être le plus ouvert et friand (c'est relatif), Les Boccards est plutôt charnu et sanguin, Les Blémonts est plein et suave, et Chassignol est riche et concentré.

Il y a un côté minéral en fin de bouche sur tous les vins.

Ce sont tous des vins de garde ; il faut absolument les carafer ou les ouvrir bien en avance dans leur jeunesse pour les apprécier.

 

Dossier réalisé à partir des 3 visites au domaine effectuées les 6 Mars, 12 Mai et 27 Août 2014 (prises de vues dans les vignes lors de ces 2 dernières).