Les jeunes pousses de Lantignié (2/2) : Frédéric Berne (29/06/17)


Frédéric Berne est un jeune homme très sérieux qui affirme sa singularité en Beaujolais. Rompre avec les mauvaises habitudes et la facilité offerte par les techniques conventionnelles est pour lui un préalable à la redécouverte des relations de l'homme à son agriculture et la nature. S'il n'est pas le seul à défendre la viticulture biologique, il empreinte une voie assez différente de ceux qui portent ce label  aujourd'hui dans la région. Je vous propose une introduction en 5 leçons à son univers passionnant qui a pris racine sur la commune de Lantignié.

 

Jeune vigne plantée en 2014

Jeune vigne plantée en 2014 par Frédéric berne, dès de sa première année d'exploitation

 

1ère « leçon » : Respecter les sols

« Ce qui crée la porosité dans le sol et favorise le drainage de la pluie, ce sont les vers de terre. Dans un sol équilibré, il y a 4 tonnes de vers de terre à l'hectare, dans les vignes désherbées ou mal travaillées, c'est 100 kgs à l'hectare. »

Le mode de culture est donc bio, c'est clair. Ce qui implique de travailler les sols. Il faut être vigilant quant à l'érosion, les sols sableux sont très faciles à travailler sur Lantignié mais il y a parfois de la pente. Il a passé 2 fois l'intercep cette année et il repassera un mois avant les vendanges pour enlever les herbes qui sont dans les raisins.

Quand on travaille les sols, on prend donc le risque que le premier orage emporte toute la terre en bas de la pente... Frédéric passe l'intercep sur 5 cm, pas plus. Et encore, il aimerait pouvoir s'en passer. Il a même fait des essais de bâchage sous le rang en Morgon. C'est difficile à mettre en place mais il n'y a rien à faire pendant plusieurs années ensuite. Il faut recouvrir la bâche avec un paillage pour éviter sa dégradation par le soleil. C'est très intéressant selon lui pour les vignes pentues. Bien sûr, s'il devait généraliser cette technique, ce qui n'est pas à l'ordre du jour, il faudrait des bâches végétales ; Il note toutefois que le bilan carbone est meilleur avec une bâche plastique installé sur plusieurs années qu'en passant l'intercep régulièrement.

Le sol nourrit la plante, Frédéric veut nourrir le sol en respectant la nature et ne pas forcer la vigne en la nourrissant directement. Les racines de la vigne doivent plonger profondément dans le sol afin d'y trouver l'eau et mes micro-éléments nécessaires à un développement équilibré et lui permettant de transmettre aux raisins le caractère du terroir ; pour favoriser cet enracinement, il n'y a pas mieux selon lui que les galeries de ver de terre. En conventionnel et surtout quand on utilise des engrais, la plante développe son système racinaire en mode parapluie au lieu de plonger profondément. Redonner de la vie et de la porosité au sol est donc selon lui un préalable à la viticulture.

 

2ème « leçon » : Non à la monoculture

Pour l'équilibre des sols, de la vigne mais aussi pour restaurer une faune (insectes en particulier) riche et variée, Frédéric veut rompre la monoculture en plantant des couverts végétaux entre les rangs de vigne.

Il ne faut pas laisser le sol nu, mais il ne faut pas faire trop de concurrence à la vigne pour qu'elle puisse pousser. Il couvre donc le sol avec des annuelles qui vont sécher l'été, avec des racines pivot qui vont drainer le sol plutôt que de créer une couche dense difficile à pénétrer par la pluie (type ray-grass au système racinaire très développé). Il ne faut pas non plus tondre mais coucher les herbes pour que les champignons produisent de l'humus.

Il recherche le mélange idéal d'herbes à semer comprenant notamment trèfles, céréales, radis chinois, luzerne, etc... Sans pour l'instant être arrivé à l'équilibre parfait mais il persévère !

 

3ème « leçon » : Des technologies utiles

Si Frédéric revient quelque part en arrière avec ce mode de culture, il n'est pour autant pas arriéré ! Les sols des vignes qu'il a récupérées récemment n'étant pas revenus à l'équilibre, la vigne a besoin d'engrais organiques pour se développer correctement.

Mais il faut juste ce qu'il faut là où il faut et pour cela, il fait faire des photos aériennes par drone de la vigueur de ses vignes (test en cours sur 3 parcelles) pour savoir où il devra mettre du compost pendant l'hiver. Il fallait y penser.

 

4ème « leçon » : Une culture extensive

Partant du constat que les terres sur Lantignié ne sont pas très chères (entre 10 et 20 000 euros l'hectare, c'est beaucoup plus sur les crus), il préfère avoir une surface plus grande facile à travailler avec des inter-rangs de 2 m. Ce n'est pas plus de boulot.

C'est ainsi qu'il replante tout ce qui a plus de 40 ans avec une densité plus faible que ce qui se fait traditionnellement dans le Beaujolais (6000 pieds/ha en replantant à 2,00 * 0,80 au lieu de 10000 pieds/ha traditionnellement), et transforme celles qui sont plus jeunes en arrachant un rang sur deux. Il vise un rendement de 30 hl/ha pour avoir un résultat qualitatif avec cette densité plus faible.

Résultat : il a commencé avec 4 ha 30 en 2013 (plus d'infos sur son parcours ici : http://www.fredericberne.com/Domaine/frederic-berne ) et il arrive désormais à 7 ha, mais il ne produit pas plus de vin !

 

5ème « leçon » : Les gobelets... à la poubelle

Qu'il s'agisse de plantations ou bien de vignes transformées, le palissage est essentiel pour Frédéric. Il permet de travailler beaucoup mieux en facilitant le passage des outils et les raisins sont bien ventilés donc moins sujets à maladie.

Il ne fait plus du tout de rognage. Là où d'autres s'évertuent à maintenir une hauteur de moins d'un mètre par des passages répétés de rogneuse, lui préfère garder le maximum de « panneaux solaires ». Le palissage est donc très haut, comme on peut le voir sur les jeunes vignes plantées en 2014 et palissées à une hauteur de 1,50 m environ.

Jeune cep au feuillage épanoui

Jeune cep dans sa troisième année palissé sur 1,50 m

 

Lorsque la vigueur de la vigne est importante, il tresse les pointes sur les fils plutôt que de les couper. L'idée est d'avoir un maximum de feuillage permettant une maturation complète et permettant ensuite d'effeuiller autour des raisins si le temps est pluvieux.

Dans une autre vigne, transformée celle-ci (vigne de 30 ans dont il a arraché un rang sur deux), on voit qu'il établit également un palissage malgré l'ancienne tenue en gobelets. Cela se fait sur plusieurs années en adaptant la taille hivernale pour retrouver un alignement des rameaux dans le rang.

 

Vigne de 30 ans transformée

Vigne de 30 ans "transformée" après arrachage d'un rang sur deux et palissage

 

L'avenir nous dira si les efforts et les choix de Frédéric permettront d'obtenir des résultats convaincants, notamment dans le verre mais ce que je peux dire à ce stade, c'est que les vignes que j'ai vues étaient particulièrement saines et belles, et tranchaient avec celles de ses voisins.

Cep bien portant et belle sortie de raisins

La vigne est belle et particulièrement saine en cette fin Juin

 

Lui en tout cas, est persuadé d'aller dans la bonne direction même s'il se pose beaucoup de questions. Il croit qu'il peut arriver à avoir un coût de production identique à celui du conventionnel (pas de rognage, moins de tri, facilité à vendanger, matériel moins cher, etc...) et souhaite ainsi démontrer qu'il y a un véritable avenir pour une viticulture saine, productive et qualitative en Beaujolais.

Un challenge que je ne manquerai de suivre dans les mois et les années à venir.