Géologie des crus du Beaujolais

La géologie est une science et pour être précis et scientifiques, les géologues parlent aux géologues dans un langage inaccessible au commun des mortels.

Exemple : « Les terrains primaires sont surtout représentés par le Dévono-Dinantien, prolongement septentrional du faisceau synclinal de la Loire, avec un socle épimétamorphique attribué au Dévonien supérieur et des formations sédimentaires du Viséen moyen et volcaniques du Viséen supérieur sans métamorphisme appréciable ».  C'est clair, non ?

Je connais un peu cette langue étrange, étant moi-même ingénieur géologue de formation... Mais ce n'est pas le cas de la majorité d'entre vous et je me suis donc attaché à vous expliquer de manière claire et sans trop de termes barbares l'histoire géologique régionale. Notez qu'il y a de fait des approximations et des simplifications que vous me pardonnerez !

La description suivante concerne principalement la zone des crus.

Allons-y...

 

Avant -360 Ma, on connaît bien peu de choses de l'histoire géologique du territoire et des régions limitrophes. Les formations les plus anciennes sont des roches volcaniques ou volcano-sédimentaires difficiles à différencier et à identifier compte-tenu des nombreuses transformations et altérations subies. On peut toutefois situer de telles formations, semblables à des « cornes vertes » à Odenas et Haut-Morgon.

Les sédiments les plus anciens retrouvés datent de -340 Ma. C'est à cette époque que naissent véritablement les roches du socle beaujolais sous l'effet d'une intense activité volcanique sous-marine d'une part et de la collision de 2 immenses continents (à cette période, l'Amérique du Nord et l'Eurasie ne formaient qu'un seul continent). De nombreux massifs anciens apparaissent ainsi à cette époque (le Massif Central dont le Beaujolais représente la bordure orientale mais aussi par exemple les Appalaches aux Etats-Unis).

Les effusions de lave en surface (refroidissement rapide) sont à l'origine des roches dites volcaniques comme les tufs et les rhyolites, roches que l'on peut retrouver à Saint-Lager, Beaujeu ou Vauxrenard ; Ces épanchements de lave en surface peuvent s'intercaler avec des roches sédimentaires (schistes ou grès), créant ainsi un complexe de roches volcano-sédimentaires aux profils variables. On retrouve un tel complexe sur la côte du Py notamment (ce qui explique, soit dit en passant, que l'on retrouve ici ou là de nombreuses descriptions contradictoires de cette zone).

Le magma qui n'arrive pas en surface et reste dans le ventre du volcan se cristallise quant à lui en une roche dite magmatique (le refroidissement lent permet la formation de cristaux plus gros et donnent ainsi une roche au grain plus grossier) ; Il s'agit notamment des granites de Beaujeu et de Fleurie qui composent 60 à 70% du sous-sol des crus, mais aussi de porphyres ou de diorites (cela dépend principalement de la composition chimique de la lave).

Le magma qui cristallise dans les conduits du volcan donne des roches dites filoniennes telles que microgranite, lamprophyre, ou microdiorite. On retrouve ces filons traversant notamment le granite dans presque tous les crus du Beaujolais.

La majeure partie de l'assise du Beaujolais est alors formée.

Ces roches anciennes sont ensuite rapidement fracturées sous l'effet des mouvements continentaux et certaines sont « recuites » par des remontées de magma postérieures (métamorphisme de contact). Les fractures se comblent de brèches (fragments de roches), tout en laissant des trous permettant les circulations d'eaux thermales. Au fil du temps, ces circulations d'eaux chaudes et très riches chimiquement (suite à leur contact avec le magma) engendrent la recristallisation d'éléments minéraux tels que quartz, fluorite, baryte, manganèse, plomb, fer, zinc, molybdène ou encore arsenic. De nombreux filons de minerais sont ainsi créés ; ils seront exploités par l'homme lors des 2 derniers siècles, notamment à Lantigné et Romanèche-Thorins (manganèse).

Ensuite, après une considérable érosion, s'étendent des lagunes et des mers (-250 Ma à -150 Ma) avec pour conséquence le recouvrement des roches par des sédiments marins (marnes et calcaires). Ceux-ci ont dû recouvrir entièrement ou presque la région. Ce sont ces sédiments jurassiques conservés qui forment le "Pays des Pierres Dorées" (partie Sud-Est du Beaujolais).

La période suivante que l'on nomme le Crétacé (-150 Ma à -70 Ma) n'a laissé en revanche que peu de témoins ; on retrouve toutefois un peu plus au nord de l'argile à silex aux environs de Mâcon qui proviendrait de l'érosion des roches sédimentaires de cette période.

Après le retrait durable de la mer, la région est soumise à l'érosion et est parfois recouverte de lacs d'eau douce.

Vers -40 Ma, commence la formation du fossé de la Bresse.

 

 
Effondrement du fossé bressan

 

Ce fossé se forme suite à la remontée du continent africain contre l'Eurasie. Dans un premier temps, cette nouvelle collision continentale, qui a généré toute la chaîne alpine, soulève progressivement l'ensemble du Massif central et ses premiers contreforts : les monts du Beaujolais. En contrecoup de cette surrection, une zone d'extension se met en place en Bresse selon un axe Nord-Sud ; Imaginez que vous tenez un cône à l'envers entre vos mains ; si vous écartez légèrement les mains, le cône descend. Et bien là c'est pareil, des failles se forment de part et d'autre de la zone d'étirement créant l'abaissement de la partie centrale.

Comme la nature a horreur du vide, le fossé se remplit et devient un grand lac. Celui-ci se comble de sédiments lacustres (marnes et limons ont 250 à 300 m d'épaisseur), puis se vide de son eau, formant ainsi une plaine.

Il y a 3 Ma environ commence alors le creusement des vallées de la Saône et de ses affluents. A l'Ouest de la vallée, le terrain s'étage en terrasses suite au jeu des failles - encore actives - du fossé bressan ; Les eaux de pluie suivent les pentes naturelles ainsi créées, les cascades et les torrents creusent les roches en place et forment ainsi des sillons (vallées) plus ou moins perpendiculaires au fossé. On retrouve aujourd'hui des affluents de la Saône dans chacune de ces vallées : - du nord au sud - Arlois, Mauvaise, Douby, Ardière, Sansillon, Vauxonne, Marverand, Nizerand, Morgon.

Les roches les plus tendres subissent en surface une érosion intense et disparaissent presque entièrement du haut-Beaujolais, laissant réapparaître des îlots de roches dures anciennes, roches qui sont plus ou moins décomposées superficiellement (créant alors des arènes ou gore d'épaisseur variable). Selon la topographie, les roches décomposées restent sur place ou sont emportées. C'est ainsi que se déposent et s'accumulent des sédiments détritiques (sables et argiles) en pied de coteau. Ceux-ci peuvent être repris par les torrents qui les déplacent jusqu'à une terrasse (voire jusqu'à la plaine), constituant alors des conglomérats et des colluvions complexes (argiles, sables, graviers, galets, blocs peuvent être mélangés).

Les cycles glaciaires ont eu peu de conséquences dans cette zone, les glaciers alpins s'étant arrêtés à l'Est de la Bresse ; ils sont tout de même à l'origine de certains terrains superficiels (limons et de lœss) sur les rives de la Saône ; ces terrains ne sont pas favorables à la viticulture.

 

Voilà, ouf...

Vous l'avez compris, l'histoire géologique est complexe dans cette zone, ce qui implique que le sous-sol est également variable, et qu'en se promenant dans les vignes du Beaujolais, on trouve des sols de couleurs et de textures très différentes avec des pierres de teintes tantôt blanches, grises, roses, bleues, vertes, marrons, etc... (voir photo ci-dessous), même si l'ensemble des crus repose finalement sur des roches ou des débris de roches relativement similaires chimiquement puisque toutes d'origine volcanique.

 

 
De la complexité des terres beaujolaises (de gauche à droite MAV, Morgon, Juliénas, Brouilly, Cote-de-Brouilly, Fleurie)

De gauche à droite : Moulin-à-Vent (La Bruyère), Morgon (Côte du Py), Juliénas (La Bottière), Brouilly (Les Einards), Côte-de-Brouilly (La Côte), Fleurie (La Madone)

 

Les grandes différences de sols n'étant pas chimiques, elles s'expliqueront en 3 principaux points :

  • les degrés divers d'érosion du substrat rocheux, qui définissent l'épaisseur exploitable par la vigne et la quantité d'argiles,
  • les degrés de transport des résidus d'altération : restés sur place = gore, fortement déplacés/remaniés = alluvions/colluvions, avec pour conséquence des textures de sol très différentes (proportions de limons, argiles, sable et pierres),
  • la richesse organique et minérale que la nature (végétation naturelle) mais également l'homme (cultures) ont tour à tour modifiée.

Ce sont ces 3 éléments qui sont éminemment importants dans la compréhension des différences entre crus et entre climats à l'intérieur d'un même cru.