Les sols du cru Moulin-à-Vent

 

J’ai eu récemment l’occasion de passer un moment en compagnie d’Isabelle Letessier (cabinet SIGALES) dans les vignes de Thorins. Isabelle est une pédologue spécialisée dans l’étude et la caractérisation des sols de vigne, elle est intervenue dans de nombreux vignobles, et récemment en Mâconnais pour le classement des 1ers crus ainsi qu’en Beaujolais pour établir des cartes détaillées.

Son travail et cette rencontre m’ont permis de compléter mes informations et de vous livrer, dans les grandes lignes, les caractéristiques des sols de l’appellation Moulin-à-Vent.

 

Je vous passe les détails de la formation de la roche-mère granitique (dont vous avez quelques informations ici).

Le granite donc, qui est la roche locale, est constitué de 3 minéraux bien cristallisés, quasiment à parts égales : mica noir (sombre), quartz (translucide) et feldspath (rose).

Le granite sain n’est que rarement visible en surface, surtout sur Moulin-à-Vent, car il est altéré sur une plus ou moins grande profondeur. On peut l’observer sur des affleurements présents sur les hauts de Chénas, Fleurie ou Chiroubles mais pas ici.

 

Affleurement granite Madone

Affleurement du granite en haut de la Madone (la photo représente environ 1,50 m de largeur)

 

L’altération du granite induit la création d’un sol, notion quelque peu floue car il n’y a pas de limite claire entre horizon meuble et roche intacte. Si on définit le sol comme étant la partie « désordonnée » comprenant plus ou moins de matière organique, on trouvera la limite entre 20 et 80 cm, alors que si on le définit comme étant tout l’horizon occupé par les racines, on placera peut-être la limite à 1,50 m ou 2,00 m (car les racines s’insinuent dans toutes les fissures).

Que se passe-t-il entre ces 2 limites ? Et bien le granite se dégrade sous l’action de l’eau (d’autant plus s’il y a de l’humus qui l’acidifie) et également sous l’action des bactéries et des racines qui vont notamment retirer la potasse des molécules de mica noir et de feldspath. Ceux-ci se transforment alors en argile, d’abord de façon pelliculaire puis entièrement. Il faut (ordre de grandeur) quelques 10 000 ans pour dégrader 1 ou 2 cm de granite.

La partie altérée du granite reste d’abord ordonnée et cohérente ; si on en prend un morceau, il a conservé sa structure de roche mais il est devenu friable. Elle est également plus foncée, plus rouge que le granite d’origine car du fer est aussi extrait des cristaux et s’oxyde. On l’appelle altérite ou saprolite (« roche pourrie »), mais on entend plus souvent le terme de gore qui est très utilisé par les vignerons.

 

Saprolite de granite Thorins

Granite pourri (ou saprolite ou gore) extrait d’une fosse

 

Cette saprolite est essentielle dans la compréhension des sols de Moulin-à-Vent (et, à des degrés divers, des autres crus). Vis-à-vis de la vigne, ses principaux intérêts sont d’être poreux d’une part (réserve d’eau) et riche en argile d’autre part (donc en minéraux).

Au-dessus de la saprolite, le sable est très majoritaire (95% quartz, minéral très peu dégradable) car l’érosion fait son œuvre et l’argile est lessivée par la pluie, du moins dès qu’il y a un peu de pente. Les terrains plats conservent naturellement plus d’argile en surface. Il est d’ailleurs intéressant de noter ici que le travail des sols favorise également le lessivage des argiles et donc l’appauvrissement des sols ; c’est un facteur à prendre en compte dans les choix de culture.

Les sols les plus lessivés ne contiennent presque que du sable ; ils constituent un réservoir hydrique très faible (moins de 30 l/m2) et ils sont également très pauvres. La vigne, qui est une plante pionnière, y pousse tout de même mais on comprend que sa vigueur y soit réduite comparativement à un sol plus argileux. Ces sols très lessivés sont peu présents sur Moulin-à-Vent, on les trouve davantage sur les autres crus.

 

On ne peut pas trop généraliser sur les sols de Moulin-à-Vent, mais on peut tout de même dire que les climats les plus réputés ont la particularité d’être constitués de cette saprolite, sur une épaisseur variable. C’est le cas de Chassignol, Les Michelons, Rochegrès, La Rochelle, Aux Caves, Les Vérillats, Thorins, Carquelin, Le Clos du Moulin-à-Vent, La Roche, Les Greneriers, Les Burdelines, La Teppe.

 

CMV 091015

Le hameau de Thorins et son doux relief aurait-il les meilleurs sols du Beaujolais ?

(Au Caves au premier plan puis La Rochelle à gauche et Les Thorins à droite)

 

Les travaux d’Isabelle Letessier et son équipe ont permis d’établir une carte détaillée dont je vous livre ici une version réduite sur laquelle j’ai indiqué les climats les plus connus (la légende est simplifiée) :

 

Terroirs de Moulin-à-Vent

Carte des sols du cru Moulin-à-Vent

 

On ne le voit pas sur cette carte car la topographie n’y est pas représentée mais les caractéristiques des sols sont le plus souvent liées au relief. Les granites altérés, peu profonds en haut des buttes et dans les pentes les plus fortes sont en revanche beaucoup plus profonds dans les pentes douces, les piémonts et les « plaines » ; dans ces dernières, des alluvions se sont également déposées et recouvrent largement les saprolites.

Ajoutons qu’on observe aussi sur certains secteurs des roches lardées de quartz blanc épais ; elles sont issues de filons qui se sont formés dans les fractures du granite. On en trouve particulièrement sur Moulin-à-Vent, Chénas et Fleurie où elles forment des « échines » (ou des crêtes) car elles sont très résistantes à l’érosion (les crêtes de Poncié ou de Chassignol par exemple). Cela est dû à la proportion importante de quartz dans ces filons.

Quant aux sols en bleu et en jaune sur la carte, il s’agit d’alluvions récentes composées soit de limons fluviaux soit de marnes lacustres (dus à la formation d’un lac sur la Saône il y a 200 000 ans lorsqu’une langue glacière est venue la « boucher »). Dans les 2 cas, les parcelles concernées devraient logiquement être déclassées en Beaujolais ou Beaujolais-Villages.

 

Tout cela reste schématique, mais si on rentre davantage dans le détail, ça devient trop compliqué… Isabelle Letessier, qui a fait creuser 300 fosses sur place, a noté que la variabilité des sols est très importante et me disait qu’entre le haut de Thorins (au niveau du Moulin-à-Vent) et le bas de Carquelin (environ 500 m de distance), on pourrait distinguer 7 ou 8 sols différents !

 

Conclusions :

Les sols de Moulin-à-Vent sont des sols globalement pauvres (0,6% de matière organique au lieu de 2,5% par exemple pour un sol argilo-calcaire) mais tout de même moins pauvres que ceux des vignes des coteaux de Chiroubles ou Fleurie par exemple, car plus riches en argiles. Le gore, par sa porosité, offre aux vignes une alimentation en eau modérée (jamais d’engorgement et rarement de sécheresse marquée). Par sa dégradation, Il donne également à la vigne tous les minéraux essentiels à sa croissance, à des doses faibles certes, mais qui sont suffisantes pour son équilibre.

C’est sans doute cette conjonction de propriétés qui font que les sols de Moulin-à-Vent sont parmi les meilleurs climats de tout le Beaujolais.

 

Avoir de « bons » sols et bien les connaître sont deux choses essentielles… Mais pour produire le meilleur vin possible, ceux qui les exploitent doivent faire les bons choix de culture (travail du sol, amendement, choix des porte-greffes, densité de plantation, etc…) en s’adaptant aux caractéristiques locales. Un sacré challenge quand les sols varient parfois sensiblement au sein d’une même parcelle.